Visiter l’exposition Gertrude Stein et Picasso. A l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Picasso, le musée du Luxembourg propose un hommage à ces deux grandes figures. L’exposition évoquera l’amitié entre le peintre et l’autrice, mais aussi l’influence qu’ils auront sur leurs contemporains, Juan Gris, Cocteau et rassemblera des oeuvres de Picasso, Gertrude Stein, Matisse , mais aussi Juan Gris et Marcel Duchamp. Elle évoquera aussi l’influence de la poétesse américaine sur les artistes de la génération suivante comme Wharol ou Rauschenberg.
Au début du XXe siècle, quatre américains viennent à Paris, Gertrude Stein, son frère Léo, Michael et son épouse. Ils s’installent rue Madame. Riches, passionnés de modernité et d’art, ils font vite connaissance avec la scène artistique parisienne.
Si les goûts de Léo Stein se tournent plutôt vers la Renaissance italienne, ceux de Gertrude s’attachent particulièrement à Picasso. L’autre frère, Michael, s’intéressera plutôt, avec son épouse Sarah, à Matisse.
Gertrude Stein est née en Pensylvanie en 1874 dans une famille juive qui s’installe en Europe dès 1900. Gertrude commence des études de psychologie et de médecine psychiatrique et se passionne pour l’écriture pathologique. En 1904, après une déception amoureuse qui lui révèle son homosexualité, elle rejoint son frère à Paris. La capitale connaît une formidable émulation artistique mais aussi une crise, après l’Exposition d’automne qui révèle la révolution plastique des Fauves. Les Stein, américains au regard neuf et confiant sont ouvert à toutes les modernités.
Ainsi, Léo acquiert très vite la très scandaleuse femme au chapeau de Matisse. Puis, chez le marchand de Picasso, Philippe Sagot, ils achètent la fillette au panier de fleurs de Picasso. Puis il acquièrent aussi la femme à l’éventail et la femme accroupie. Une amitié naît entre Picasso et Gertrude. Ainsi la formation de la collection Picasso chez les Stein se fait écho avec l’acquisition de la toile de Matisse. Les deux peintres, le pôle nord et le pôle sud comme disait Fernande Olivier, sont bien présents chez les Stein.
Dans ce cadre, cette famille américaine très atypique, rapprochait de façon très intuitive, deux quartiers parisiens qui ne se parlaient pas à l’époque, Montmartre et Montparnasse . Dès 1905, les Stein organisent les « samedis soirs » de la rue de Fleurus. On y mange bien, la liqueur coule à flot. Picasso et Matisse sont présents mais aussi Hemingway ou Fitzerald et toute la Bohème cosmopolite. Car ce salon est à la fois un musée et une sorte de centre culturel où la bohème internationale échange sous la houlette de Gertrude. Sur les mur, des toiles donnent une indication aux convives de ce qu’est l’avant-garde.
Parallèlement Gertrude s’adonne à l’écriture que d’aucun décrira comme répétitive. Mais il s’agit d’une forme de construction analytique de la phrase que l’écrivain cultivera toute sa vie. Dans cette forme d’expression, un mot en provoque un autre et se répète parfois pour revenir à une idée antérieure. Cela peut aboutir ou non, à une troisième répétition du mot qui suggère ce que le premier mot n’avait pas traité. Cette écriture est avant tout une recherche de l’indépendance du mot.
Ainsi quand elle fait le portrait de Picasso, elle écrit : Celui-là était quelqu’un qui travaillait presque toujours. Celui-là n’était pas quelqu’un travaillant complètement. Celui-là était quelqu’un ne travaillant pas jamais complètement. Celui-là n’était pas quelqu’un travaillant pour faire sortir n’importe quoi de lui. Celui-là avait réellement quelque chose ayant un sens qui sortait réellement de lui… (Gerard Bonal « des Américaines à Paris », Talandier, 2017 page 259).Cette écriture que Nathalie Cliford Barney qualifie de bégaiement est une approche artistique qui rejoint indéniablement celle de Picasso.
Aussi lorsque Picasso propose à Gertrude de faire son portrait, elle accepte volontiers et pousse la porte de son atelier. Mais ce ne sera pas moins de 90 séances qu’il faudra au peintre pour achever cette toile qui deviendra emblématique du cubisme. Car on le dira ou non, cette femme au physique de paysanne, comme disait Hemingway, donnera une impulsion sans pareil à l’Avant-garde. Et les artistes qu’elle conseillait plus que n’encourageait, le lui pardonneront bien.
Au Bateau-Lavoir, elle voit passer lors de ses poses, un cortège d’artistes bohème, de Gauguin à Modigliani . Elle découvre alors un monde misérable et riche à la fois que son quartier de Montparnasse ne lui donne pas à voir. Picasso efface plusieurs fois la tête de son portrait, puis recommence. Mais progressivement, il construit avec des répétitions d’angles différents le portrait de Gertrude. Etr ce dernier prend la forme d’un masque africain qui annonce les Demoiselles d’Avignon. Cette approche constructive et analytique se rapproche de l’écriture cubique de Gertrude.
Dans le salon de la rue de Fleurus, les toiles de Picasso entrent en correspondance avec celles de Cézanne. Gertrude qui a très bien compris Picasso, accroche son portrait d’abord au-dessus de la Femme au chapeau de Matisse, non loin du portrait de madame Cézanne à l’éventail de Cézanne. Puis elle l’accroche en-dessous des Pierreuses de bar de Picasso, dont le caractère déformé des silhouettes se rapprochent de l’abstraction.
Alice Toklas, la secrétaire de Léo, est entrée dans la vie de Gertrude. Ce qui l’éloigne de Léo qui de plus, ne comprend pas l’écriture de sa soeur. Mais ils auront lancé deux grands génies au point qu’ils doivent revendre certaines toiles. Mais ce sera pour en acheter d’autres…
Véronique Proust
Visiter l’exposition Gertrude Stein et Picasso. Exposition du 13 septembre 2023 au 23 Janvier 2024 au musée du Luxembourg. Visites guidées disponibles sur demande. Droit de parole et audiophones 42 €. Prix d’entrée 14 €
Renseignements: 01 42 80 01 54