Visite de l’exposition Chana Orloff sculpter l’époque au musée Zadkine. Dans un écrin de verdure cet ancien atelier d’artiste accueille les sculptures de cette artiste qui font échos à celles d’Ossip Zadkine. Ainsi deux artistes de l’école de Paris sont réunis à l’occasion d’une très belle exposition.
Née en Ukraine en 1888, Chana Orloff est l’avant dernière de 9 enfants. Ses parents tous deux juifs issus d’un milieu aisé, sont des intellectuels sionistes. Aussi lorsqu’au cours des pogroms leur maison est incendiée, toute la famille se réfugie en Palestine. Là, ils vivent en cultivateur mais de façon misérable. C’est Chana qui fait vivre sa famille par ses travaux de couture.
Aussi son frère bien-aimé Zwi l’encourage à partir pour la France pour se perfectionner en couture. Arrivée à Paris, elle prend une place chez Paquin et se perfectionne rapidement. Par ailleurs, elle suit des cours aux Arts Décoratifs en dessin. Mais c’est la sculpture qui l’attire. Aussi fréquente-t’elle l’atelier de Marie Vassilief. C’est là qu’elle va rencontrer Soutine , Modigliani et Zadkine.
Zadkine est né Witebsk en 1890 et arrive à Paris en 1909. Il fréquente la Ruche, se lie avec Apollinaire , Max Jacob et Modigliani. Il s’installe dans un atelier rue d’Assas et sculpte la pierre après avoir travaillé le bois. C’est en effet la taille directe qui l’attire et ses formes sont proches du primitivisme.
La taille directe est donc en premier ce qui rapproche les deux artistes ainsi que divers matériaux comme le bois. Ainsi, l’exposition s’ouvre sur un portrait de femme bretonne de Chana et une tête d’homme en bois doré de Zadkine . Le rapport avec ce matériaux lie les deux artistes dont le pays d’origine est couvert de forêts. Le bois, matériaux minéral permet d’obtenir des surfaces lisses et douce que n’apporte pas la pierre. Du reste, Chana fera paraître en 1919 un recueil de gravures sur bois de portraits d’amis proches. On y reconnaît Louise Marion ou Jean Paulhan et un poignant autoportrait en deuil.
Si Zadkine est attiré par les formes cubiques, Chana au contraire adopte les formes arrondies. C’est ce que l’on perçoit dans le portrait en pied de Nadine, la fille de l’éditeur Lucien Vogel qui accueille ensuite le public. De même la grande baigneuse de 1925 aux formes généreuses ou la maternité.
Par l’intermédiaire de Modigliani Chana rencontre le poète Ary Justman qu’elle épouse en 1916. Ils auront un fils en 1918. Mais Ary décède comme Apollinaire, de la grippe espagnole en 1919. Chana devra élever seule son fils. Viennent dans son atelier Max Jacob et Cocteau. Elle commencera alors une série de portraits qui feront son succès.
L’exposition nous plonge alors dans l’univers de Chana à travers ses amis. Victor Rey, gouverneur des colonies et journaliste scrute le lointain du haut de sa longue barbe. Le peintre norvégien Per Krogh jouant de l’accordéon voisine avec le peintre Jacovleff avec son nez mince et ses orbites profondes. Le peintre et dessinateur Jean Emile Laboureur arbore une figure pleine et ronde avec une justesse de traitement.
En effet les formes synthétiques sont les traits dominants de la sculpture de Chana. Et c’est la part dominante de son talent qui consiste à capter à merveille les traits de ses modèles avec très peu de moyens. En revanche, le portrait n’a jamais été la spécialité de Zadkine qui avoue ne pas savoir rendre « vrai » ses modèles. Pour autant, l’exposition présente deux magnifiques portraits de 1940. Le premier représente André Gide et le second François Mauriac. Zadkine fait aussi preuve de synthétisme mais ses formes moins rondes, sont plus géométriques.
Un autre sujet qui domine son art est le thème de la maternité et les figures féminines à la faveur du mouvement d’émancipation des femmes. Les femmes ont des coiffures à la garçonne et des robes juste-au-corps.
L’exposition met en rapport une figure la Sainte Famille de Chana avec une autre signée Zadkine intitulée la Famille. Là encore, l’esprit de synthèse rapproche les deux artistes. Mais Chana semble s’être émancipée de la figure primitive ce qui n’est pas le cas de Zadkine.
Dans le second atelier du musée est évoquée le drame de la présence nazi en France. Ossip Zadkine et Chana Orloff étant tous les deux juifs, choisissent l’exil et la fuite. Chana s’installera en Suisse et travaillera pour le futur Etat hébreu. L’exposition présente la statue monumentale « Israël » sous la forme d’une femme portant au ciel son enfant. Elle fait écho à la sculpture de Zadkine La ville détruite présentant un homme levant les bras au ciel. La dynamique de la sculpture de Zadkine tient du désespoir alors que celle de Chana Orloff tient de l’espérance.
Visite de l’exposition Chana Orloff. Du 15 novembre au 31 mars 2024. Tous les jours du mardi au dimanche de 10h00 à 18h00. Renseignements au 01 42 80 01 54
Véronique Proust