Mucha et Sarah Bernhardt. L’artiste sortira de l’ombre en 1894 avec la célèbre affiche « Gismonda ». Tout comme Sarah Bernhardt usera de ce nouveau talent artistique formidable pour éliminer ses rivales. Elle reprendra ainsi le devant de la scène artistique de Paris.. Rencontre formidable entre l’actrice et le grand artiste.

Né en 1860, Mucha quitte très tôt la Tchéchoslovaquie pour s’installer à Paris. Là, il suit les cours de l’académie Colarossi et l’atelier de la Grande Chaumière.

Installé ensuite à son compte, il fréquente les artistes parisiens de l’avant-garde comme Paul Gauguin. Il accumule aussi des quantités de photos et cartes postales qui lui fournissent son inspiration. Il aime les représentations historiques, byzantines, énigmatiques. Elles s’apparentent aussi à la magie et au théâtre et se crée un style très personnel et inégalable.

Puis l’artiste travaille pour l’entreprise LU pour qui il crée des affiches dans le style de « vitrail» et utilise pour la première fois la technique de découpage-collage en contournant tous les motifs de traits noirs à la manière des vitraux. A cette époque et dans le domaine de la création d’affiches, la modernité provient de Jules Chéret. En effet, ce dernier crée l’archétype de la jeune femme aérienne et sensuelle, la « chérette ». C’est ainsi que l’art de l’affiche dépasse largement le domaine publicitaire pour devenir un art à part entière.

Mucha rencontre Sarah Bernhardtpour la première fois en 1894. Cette rencontre se fait un peu par hasard car le producteur d’affiche ne peut répondre à la demande de la dévorante Sarah. Sarah est de suite emballée par l’artiste tchèque : Je vous aime déjà ! Dira-t’elle et elle signe avec lui un contrat de 6 ans.

De ses inspirations livresques et iconographiques débordantes et foisonnantes, Alfons Mucha saura trouver l’angle publicitaire des personnages que joue Sarah. Et il s’approprie rapidement le style théâtral de la comédienne. Et lorsqu’elle découvre le projet de l’affiche, la vie de Mucha bascule, l’actrice s’exclamant « Ha ! Que c’est beau… ». Cette affiche aux couleurs chaudes et gustatives tirées de la vanille et du caramel vont être affichées dans tout Paris dès janvier 1895 et connaître un succès fou.

Mucha va voir l’actrice à chaque répétition, multiplie des croquis, s’imprègne de la pièce, reprend les mimes, les rictus, les expressions graves, la posture. Puis il réalise une magnifique composition verticale reprenant l’ensemble de la silhouette de l’artiste. Il n’a avec elle qu’un rapport d’artiste à artiste, l’impresario commun étant le crayon de Mucha.

Mucha réalisera ensuite 6 autres affiches dont celles de la Dame aux Camélias et Lorenzaccio. La grande nouveauté de son art s’émancipe de la seule activité d’illustrateur. En effet, il libère l’affiche du texte et ses compositions s’émaillent de l’intrigue de la pièce et donne envie d’aller la voir. Si dans Théodora l’actrice revêt une robe somptueuse d’impératrice byzantine, il utilisera cette formidable iconographie exotique pour enrichir la vision qu’on peut se faire de la pièce.

Ses formats longs et étroits sont presque tous les mêmes et s’adaptent admirablement bien à la silhouette longiligne de l’actrice. Et Mucha revêt l’actrice d’un vêtement magnifique à la manière de sainte d’église. Ainsi, Gismonda tient dans sa main une palme à la façon des processions du dimanche des Rameaux.. Si les imprimeurs sont d’abord inquiets de ses productions, Mucha reste sur sa ligne en se rappelant les « Cherettes » mais aussi les superbes affiches de Toulouse Lautrec.

En 1896, Mucha réalise l’affiche de la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas. Cette fois-ci il donne à Camille la tragique héroïne, une allure de parisienne moderne dans une robe chic qui fait sortir l’héroïne d’une image démodée. Pour Hamlet , Mucha présente la figure de Sarah en personnage solitaire face à son destin et sur fond de voûte gothique.


Il faut dire que dans les années 1890, l’affiche occupe une place centrale dans la mémoire visuelle et la publicité connaît un essor croissant. Ce que les rivales de Sarah Bernhardt n’ont pas compris, Sarah l’a compris grâce aux formidables dessins expressifs de Mucha. Ce dernier s’inspire des éléments décoratifs du moment qui font sensation. En effet, on y trouve du japonisme mêlé au baroque. Les silhouettes serpentines sont libérées de leur crinolines et invitent à l’évasion.


Cette collaboration de 6 ans aura été fondamentale tant pour l’image de la comédienne que pour l’art exceptionnel de l’affichiste tchèque.