Madame du Deffand et son salon
Au XVIIIe siècle de nombreuses femmes ont donné le ton de l’esprit des Lumières à travers leur salon. Madame du Deffand en tenait un sur la rive gauche et invitait les plus beaux esprits du moment. Mais au-delà de son esprit vif fort connu dans la capitale, elle ne faisait que lutter contre son mal profond, l’ennui. Elle partagera ce mal avec Horace Walpole, député britannique et grand esthète. De cette quête métaphysique naîtra une grande amitié.
Madame du Deffand naît dans une famille traditionnelle attachée aux valeurs religieuses. C’est déjà un mauvais départ. En effet, elle n’aime pas le catéchisme, perd la foi pour toujours et décide de philosopher. On la marie à vingt ans à monsieur du Deffand, colonel des dragons très ennuyeux. Et notre héroïne va très vite s’émanciper. Elle fréquente les salons à la mode, devient la maîtresse du Régent, ce qui pousse son mari à se séparer d’elle à jamais.
Puis, après avoir eu beaucoup d’amants qu’elle juge tous ennuyeux, elle se rapproche du président Hénault. Ce dernier n’est pas très beau mais il a beaucoup d’esprit. Cependant, il est trop romantique. Donc, ni foi en la religion, ni foi en l’amour, et encore moins en l’amitié. Voilà ce qui caractérise notre salonnière.
En effet, mademoiselle de Lespinasse qu’elle avait accueilli dans son salon littéraire est partie monter le sien sur la rive droite en lui ôtant d’Alembert. Dès lors, madame du Deffand se méfie de l’amitié et se comporte comme une vieille femme défiante. De plus, elle devient aveugle.
Levée à cinq heures de l’après midi, elle vient s’asseoir près de la cheminée du salon et reçoit ses invités. Viennent alors tout ce que la noblesse rive gauche fait de mieux : les Choiseul, les Broglie…Suit la maréchale du Luxembourg. On évoque Montesqieu, les réformes de Turgot. On parle jusqu’à deux heures, heure à laquelle les invités se retirent. « Comme il est tôt! » s’exclame madame du Deffand.
A l’affût de tous les étrangers sérieux de passage à Paris, madame du Deffand se précipite pour les inviter afin qu’ils n’aillent pas au salon de madame Geoffrin. C’est ainsi qu’arrive Horace Walpole. Ce dernier est précieux et spirituel. Il est contrôleur du Grand Echiquier, charge qu’il lui est étrangère et qu’il confie à un secrétaire. Il est né dans un monde où tout homme du monde est riche et est pourvu par sa famille d’un siège au Parlement. Enfin, il a beaucoup d’amies femmes la plupart assez vieilles.
Par ailleurs, il a acheté à Strawberry Hill un manoir de style gothique aux reflets de plâtre et considère que c’est le véritable goût. Lorsqu’il vient à Paris c’est pour faire de l’esprit avec les Encyclopédistes. Mais chez madame Geoffrin il ne réussit pas. Chez madame de Lespinasse, il ne s’entend pas avec la jeune génération. Alors il se rend chez madame du Deffand. Là il ne trouve que des vieillards, mais ils sont spirituels et un peu médisants.
Madame du Deffant se fait décrire le nouveau venu et elle qui ne croit ni en Dieu ni en l’amour, lui offre son amitié. Walpole qui est vaniteux prend plaisir à plaire à une femme connue pour son esprit. Mais il se prend au jeu et vient tous les jours chez elle. L’amitié grandit et se transforme en un sentiment que madame du Deffand récuse. En effet, après le retour de Walpole à Londres, elle lui envoie des lettres empressées.Walpole lui répond qu’il « voulait être amusé, rien de plus ».
Voilà le juste retour des choses. Madame du Deffand est prise dans le piège qu’elle a tendu aux autres : le reproche de l’ennui. Car voilà bien la maladie qui lie Walpole à madame du Deffand. Pour autant, les deux amis ont une relation épistolaire dense. En effet, on connait de Walpole près de deux mille lettres écrites à madame du Deffand en l’espace de huit ans.
A la veille de sa mort, madame du Deffand appelle son secrétaire et lui dicte une lettre adressée à Walpole. Et elle la termine en ces termes : « vous me regretterez parce qu’on est bien aise de se sentir aimé ». Walpole apprit la nouvelle de sa disparition avec flegme et récupéra son chien Tonton dans sa propriété de Starwberry Hill .
Madame du Deffand et son salon.
Véronique Proust