La Crucifixion de Masaccio, peintre de la Première Renaissance. Ses fresques à la chapelle Brancacci ont révolutionné la peinture de la première Renaissance. En effet l’artiste y impose l’émotion humaine à la place de la grâce divine. Il impose aussi la spacialité scientifique picturale, à la place de l’émotion décorative.
Lorsque Masaccio peint ce panneau en 1426, il est âgé de 25 ans et est en pleine possession de ses moyens. Il a déjà collaboré aux fresques de la chapelle Brancacci de Florence. Là, il se libère des influences gothiques de Masolino. En effet, la perception de l’espace et de la lumière sur ces scènes murales est très nouvelle. Point de superposition d’image mais une recherche de profondeur par une lumière qui la diffuse et l’approfondit.
Quant aux visages, ils reflètent une intensité émotionnelle jamais vue et bien loin des stéréotypes du gothique international. Ainsi, avec Masaccio, le caractère iconique des images saintes fait place à un réalisme de l’expression humaine. Dans ce cadre, on se rappelera de la douleur inscrite sur les visages d’Adam et Eve chassés du Paradis, de la chapelle Brancacci.
Ce panneau de la Crucifixion destiné à être dans la partie supérieure d’un polyptyque placé dans l’église des Carmélites de Pise est un reflet des recherches picturales de Masaccio. En effet, si le fond or correspond encore aux critères de la peinture médiévale, l’expression réaliste des visages est très nouvelle. Le Christ en croix vient de mourir et son visage reflète la paix. Son corps aux carnations terreuses de la mort s’oppose à celles légèrement rosées de saint Jean. Et ce dernier pleure la mort dans le monde des vivants. A sa droite la Vierge comme engoncée dans sa robe, ne laisse entrevoir qu’une infime partie d’un visage muet de douleur.
Saint Jean, à sa gauche est plus retenu, replié sur ses mains jointes en prière. Quant à la Madeleine, l’artiste a choisi de ne cacher son visage. Sa gestuelle spectaculaire est à l’image de sa douleur. Et en cachant son visage, l’artiste nous laisse ainsi libre de transcrire cette douleur en notre for intérieur. La robe de Madeleine, d’un rouge lumineux s’oppose vivement au couleurs cadavériques du corps de Christ qui vient de mourir. Cette mise en scène de la couleur et de la posture contribue à l’émotion de dévotion mais aussi à l’affect de la situation.
Pour appréhender ce panneau, il convient aussi de se rappeler qu’il était situé au sommet d’un polyptique. Ainsi le spectateur le regarde non pas de face mais par en-dessous. Aussi Masaccio révolutionne la mise en page d’une peinture et la met en relation avec son spectateur. Ainsi, la tête du christ, comme rentrée dans les clavicules, donne au spectateur l’illusion d’être en dessous de lui. Sébastien Allard à ce propos, évoque cette première tentative dans l’histoire de l’art de rendre la vision perspective da sotto in sù.
Pour autant, Masaccio garde quelques traits symboliques de l’iconographie de l’ancien temps. Il s’agit de cette légende des Evangiles apocryphes qui décrit la croix du Christ comme étant taillée dans le bois de l’arbre d’Adam. Aussi au sommet de cette même croix, surgit un arbre de Résurrection. La dévotion médiévale n’est pas très lointaine, mais la modernité spatiale est très proche.