Giorgio de Chirico, des paysages métaphysiques aux places d’Italie. Cet artiste hors norme peignit des paysages spirituels et oniriques en s’inspirant de la Grèce antique. L’ « absence ou la solitude de l’homme » et le « temps suspendu » séduisirent les Surréalistes qui lui reprochèrent ensuite de se répéter. C’est mal comprendre la supériorité de ce peintre qui influencera un grand nombre de contemporains.
Giorgio de Chirico naît le 10 juillet 1888, à Volos, d’une famille noble d’origine Dalmate. Son père, Evaristo de Chirico était un expert en construction des chemins de fer. Il participa notamment avec les ingénieurs grecs à la construction de la ligne Kalambaka Meteora. L’enfance de Giorgio se passe à Volos, ville portuaire de Thessalie où il prétend entendre des voix le guidant vers l’art. Déambulant dans les gares que construit son père, il croque les voyageurs et les habitants des villages. Mais ce qui l’inspire le plus est sa culture de la Grèce antique où dieux et centaures se découpent sur fond de paysages maritimes. Par ailleurs, les silhouettes d’usines l’inspirent, avec leurs toits en dents de scie et leurs cheminées aux silhouettes verticales.
Giorgio se construit alors un univers fantastique où les bateaux lui suggèrent le départ des argonautes et les trains suggèrent le voyage.
En 1900 il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts d’Athènes et a Iakovidis comme professeur. Comme il le dira plus tard, c’est à Athènes qu’il apprit à maîtriser le dessin. En 1909, il réalise Le départ des Argonautes où il se représente sur une plage avec son frère, à côté d’une statue d’Athéna. Il effectue alors un voyage à Rome et Florence afin d’explorer ses affinités pour l’Antique. Ses toiles sont alors des paysages acadiens faits de vignes et de cyprès.
Puis il se rend à Munich et fréquente les milieux intellectuels passionnés d’art antique. Mais il découvre aussi l’expressionnisme à travers les œuvres de Böcklin. Ce dernier, comme lui, s’inspire des énigmes de l’univers pour expliquer les mystères de sa propre existence. De Chiricho s’intéresse aussi à la métaphysique, découvre Nietzsche. Ainsi, il développe à partir de « l’éternel présent » une représentation de l’instant immobile suspendu entre deux éternités, le passé et le futur. Ses toiles épurées abandonnent visite le lyrisme des premiers paysages. Elles influenceront fortement les Surréalistes.
En un premier temps, il peint des mannequins aux formes géométriques. Sa pâte picturale est onirique et ses compositions très épurées. Arrivé à Paris, il expose dès 1913 des tableaux métaphysiques. Là, la figure d’Arianne et de Thésée sont omniprésents, ainsi que celle du père, ingénieur ferroviaire symbolisé par la présence de trains et de gares. Son œuvre parlent de tout autre chose que les innovations plastiques de son temps.
Guillaume Apollinaire le remarque et écrit en 1913 un article sur le jeune artiste. « L’art de ce jeune peintre est un art intérieur cérébral qui n’a point de rapport avec celui des peintres qui se sont révélés ces dernières années. Il ne procède ni de Matisse ni de Picasso, il ne vient pas des impressionnistes. Cette originalité est assez nouvelle pour qu’elle mérite d’être signalée. Les sensations très aiguës et très modernes de M. de Chirico prennent d’ordinaire une forme d’architecture. Ce sont des gares ornées d’une horloge, des tours, des statues, de grandes places, désertes ; à l’horizon passent des trains de chemin de fer.
De Chirico s’installe à Rome et entretient une correspondance avec André Breton et Paul Eluard En effet, les Surréalistes sont touchés par sa démarche métaphysique dans l’art. Pour autant, on le critique en trouvant que sa représentation méditative de l’Antiquité est une forme de régression. En 1922 le marchand Paul Guillaume organise une exposition du peintre. Ainsi, grâce à Guillaume mais aussi Apollinaire et Paul Rosenberg, Chirico sort de l’ombre.
- Ce dernier continue sa démarche, en peignant des objets hétéroclites, comme des artichauts ou des fruits exotiques dans un paysage lunaire. Il évoquera alors « la solitude des signes » et « la nostalgie de l’infini ». Ses toiles où l’absence de l’homme est consternante, suggère de façon prémonitoire, la métaphysique du vide. Les titres mêmes de ses tableaux sont éloquent : La nostalgie du départ , L’incertitude du poète ou la solitude de l’ingénieur. Cette période dite « métaphysique » sera celle la plus attachée à son nom. Mais lorsqu’il s’en éloigne, ses relations avec les Surréalistes se détériorent . En 1926, un texte cinglant d’André Breton l’expulse de sa sphère. Raymond Quenaud ajoutera même : L’œuvre de Chirico se divise en deux périodes, la première et la mauvaise.
Chirico quitte Paris et s’installe en Italie où il défend la peinture classique et fréquente les milieux d’avant-garde. Ces derniers s’épanouissent à un moment où Mussolini assoit son pouvoir. Ce dernier se garde bien d’ honnir les artistes modernes qui revendiquent un art national. Très vite, on traite de Chirico comme nationaliste voire de fasciste. Mais les critiques sont pires : volontiers xénophobes, ils l’accusent aussi « d’incapacité picturale ». De Chirico réagit en peignant dans les années 30 de déroutantes toiles « romantico-baroques »
Ainsi, de Chirico revient à un style traditionnel comme par désenchantement, peinture que Max Ersnt qui l’admirait beaucoup appelait des « autocopies ». D’autres critiques évoqueront des « redites » au regard des « places d’Italie ». On comprend ainsi ses dernières œuvres comme celles tournées vers le passé, alors qu’elles prolongent son travail sur les « paysages métaphysiques ». C’est aussi ignorer la poésie des « bains mystérieux » commencés dès 1934 pour illustrer un poème de Cocteau : Mythologie. L’artiste s’inspire des bains de Volos, village de son enfance ou de la toile de Cranach la Fontaine de Jouvence. De Chirico associe de façon onirique les formes architecturales, l’eau et les baigneurs.
Giorgio de Chirico, des paysages métaphysiques aux places d’Italie.
Véronique Proust