Egon Schiele le peintre du corps libéré. Cet artiste de talent est une figure de proue de la Sécession viennoise. Son talent pour le dessin lui permet de cerner très vite les traits de ses sujets. Leurs corps déformés sont de grande expressivité. Mais leur connotation érotique et « libérée » a scandalisé la société bourgeoise de Vienne. C’est pourquoi, il fut longtemps marginalisé et incompris. Mais à la mort de Klimt en 1918, il devient enfin l’artiste incontournable de la Sécession autrichienne. Pourtant la même année, la grippe espagnole l’emporte à l’âge de 28 ans.
Schiele voit le jour à Tulln en 1890. Son père est chef de gare de cette ville moyenne de basse Autriche. C’est lui qui découvre les talents de son fils et l’incite à dessiner en lui confiant des carnets. Cependant, Egon Schiele mis en pension à Klosterneunburg souffre de l’éloignement de sa famille. Le dessin est pour lui un refuge. Puis en 1905, la syphilis emporte son père qu’il admirait tant. Ce décès qui laisse la famille dans un état précaire, est aussi dévastateur pour le jeune garçon.
C’est son oncle, Léopold Czihaczek qui assurera la tutelle d’Egon et ses deux sœurs. Ce dernier est directeur des chemins de fer. Il est l’archétype du Viennois riche qui mène une vie opulente. Il reçoit artistes et musiciens dans la pure tradition bourgeoise. Cependant, il accepte qu’Egon fasse une carrière artistique et l’envoie aux beaux-Arts de Vienne. Mais le jeune garçon aux talents si précoces agace ses professeurs.
En 1907, il rencontre Gustave Klimt, le chef de la Sécession viennoise qui remarque son talent. A cette époque, les peintres exposent à la galerie Pisko . Là, Schiele fait la connaissance de Arthur Roessler qui deviendra très vite le porte-parole du peintre et son mécène. Mais Schiele inquiète pour son comportement. Il peint quasiment que des nus ou des autoportraits inquiétants, l’air toujours affolé ou parfois grimaçant. Il triture ses modèles comme s’il cherchait la moindre imperfection de l’âme et presque tous ses modèles dégagent une inquiétude.
Pour autant, Egon Schiele a conscience de son talent, et se sent une mission artistique. Il déteste qu’on parle de lui comme artiste maudit. Et pourtant son attitude provocante déclenche la colère de son tuteur qui lui coupe les vivres. Après sa rencontre avec Wally Neuzil, ancien modèle de Klimt, il décide de quitter la Vienne qui le rejette. Il s’installe à Krumau dans une ville de Bohême du sud. Anton Pechka, homosexuel fou amoureux de lui et d’Erxin Ossen, un mime excentrique, l’accompagnent. La bande bohème attire les enfants de la ville qui viennent tuer leur ennui chez eux et posent aussi pour Egon.
La scandale arrive lorsqu’une jeune fille de 14 ans est retrouvé dans son atelier. Le père porte plainte et Egon endure 24 jours de prison. Au cours du procès, un de ses dessins est brûlé. Puis le groupe d’artiste est chassé de la ville. Et Schiele laissera de nombreuses vues des toits de Krumau sous le nom de Ville Morte. Par ailleurs, il écrira en 1912 : Entraver l’artiste relève du crime. Cela équivaut à tuer une vie en gestation ! En même temps, Schiele peint de nombreux autoportraits avec son double en ermite ou en spectre. L’image de la mort est souvent présente. Il admire aussi Rimbaud qu’il considère comme son double. En effet, la marginalité du poète et ses voyages au loin conçus comme des quêtes, correspondent aux aspirations de Schiele.
De temps à autres, il reproche à son grand ami Roessler de véhiculer des images fausses de lui, comme celle de l’artiste maudit. Est-ce pour le faire connaître au public et faire fantasmer les collectionneurs ? Egon de dire : J’ai peint des tableaux effroyables, mais croit-on que je l’ai fait intentionnellement juste pour faire peur aux bourgeois ? En aucun cas. Simplement, il y a des spectres qui viennent par désir et je les ai peint, non par plaisir mais par nécessité.
Egon Schiele le peintre du corps libéré
Après son emprisonnement, Schiele multiplie les provocations. Avec le cardinal et la nonne il accuse l’église d’être hypocrite et d’enfermer les corps dans des accoutrement ridicules. Aussi dans cette grande toile carrée, il oppose une immense tâche rouge à une plage noire correspondant aux deux habits de cardinal et de nonne. Cette dernière, emprisonnée dans la soutane regarde, terrifiée, le spectateur. Le cardinal part lubriquement à la conquête de son corps avec une expression qui rappelle les Inquisiteurs dans les Caprices de Goya.
Pour autant, Schiele est reconnu et vend ses toiles. La Ville Morte VI entre au musée de Karl Ersnt Osthaus. Ses dessins et aquarelles se vendent bien qu’elles choquent beaucoup. On y voit Wally Neuzil nue, dans des positions très libres et plutôt choquantes. Mais elle n’est pas la seule modèle. D’autres modèles sont recrutées par Schiele dans les jardins de Schonbrünn. A Vienne, Wally a trouvé un grand atelier très clair près de celui de Klimt. Schiele fait tout repeindre en blanc et continue son travail.
Dans la maison d’en face, il a aperçu deux sœurs et tente de les séduire en faisant le pitre. Il les invite à se promener ou prendre en verre accompagné de Wally. En 1914 il participe à un concours qui regroupe les œuvres des peintres de la modernité. Mais Schiele n’obtient pas de récompense. Il prend conscience que sa notoriété doit sortir de Vienne et songe à Paris ou Berlin. Mais la guerre éclate ce qui met fin à ses projets. L’artiste rompu se plie t-il à la pression de Vienne pour qu’il décide de se marier en 1915 ? En effet il a fait sa demande à l’une des deux sœurs Harms, Edith. Cette dernière accepte à condition qu’une rupture totale soit engagée avec Wally.
Cette année-là, en 1915, Schiele peint sa toile la plus puissante de sa carrière, la jeune fille et l’homme. On y voit deux amants agrippés désespérément l’un à l’autre sur un lit de draps froissés. Ils ont du évidemment renoncer l’un à l’autre et Wally a refait sa vie loin de Vienne. Engagée comme infirmière dans un hopital militaire, elle contracte la scaralatine qui l’emporte en 1917. Schiele desespéré change le nom de son tableau et l’intitule la Mort et la jeune fille.
Déclaré « apte », Schiele passe la guerre dans des services de prisonniers soit à Prague soit en Russie et finit par regagner Vienne. C’est pour y apprendre la mort de son ami Klimt. Malgré son immense peine, il devient de facto le maître de la Sécession Viennoise. Mais Edith, enceinte de 6 mois meurt de la grippe espagnole le 28 octobre 1918. Elle emportera le peintre trois jours plus tard.
Egon Schiele peintre du corps libéré
Véronique Proust