Léonce Rosenberg mécène et collectionneur. Frère de Paul Rosenberg, Léonce s’est passionné pour les arts et fit réaliser de très beaux décors dans son appartement du rue de Longchamp. Ses théories et ses goûts permirent à quantité d’artistes de l’entre-deux guerre de se faire connaître dans le monde artistique de Paris. Nous nommerons entre autres, De Chirico et Fernand Léger mais aussi Ernst, Severini, Picabia, Metzinger ou Herbin. Mais ses relations avec les artistes ne furent pas toujours des meilleures.
LA PASSION DES ARTS
Léonce et Paul Rosenberg avaient hérité de leur père une passion pour l’art moderne et travaillaient ensemble en 1908 dans la galerie paternelle. En 1912, Léonce s’ouvre au cubisme et travaille dans la galerie d’Henry Kahnweiler pour qui il achète des toiles de Braque et Picasso. Mais en 1914, Henry Kanhweiler se voit saisir sa collection du fait de sa nationalité allemande. On charge Léonce d’estimer les tableaux en vue de la vente, ce qui provoque l’indignation de la communauté artistique. Par ailleurs, cette vente a aussi l’effet catastrophique d’inonder le marché de l’art de toiles cubistes et d’en faire baisser les prix.
Si Paul Rosenberg indexe alors les prix et montre un rapport strictement commercial à l’art, il en est autrement pour son frère. En effet, Léonce vend des toiles, mais il les collectionne aussi et en décore son appartement comme un simple bourgeois. En effet, son appartement de la rue de Longchamp n’abrite pas uniquement des toile qu’il compte vendre. Elle sont de véritables commandes passées aux artistes comme un ensemble cohérent de décor. Dans ce cadre, le projet de Léonce n’est pas isolé. On mentionnera ainsi la maison de l’avenue de Messine que Paul Guillaume transforme en 1928 en véritable hôtel-musée. Le studio de Jacques Doucet à Neuilly ou la villa Stein-de-Monzie à Garches en sont d’autres exemples.
75 RUE DE LONGCHAMP
Léonce Rosenberg passe ainsi des commandes à de Chirico, Max Ernst, Severini ou Picabia. Il leur offre ainsi un tremplin inégalable pour accéder à la célébrité tout en faisant de son appartement un musée personnel. Par ailleurs, en passant commandes à ces artistes, il définit aussi une des modernités propres à l’entre-deux guerres.
L’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925 fut aussi pour lui l’occasion de renouer avec les mouvements étrangers tels que De Stijl. Et on lui doit à ce titre, la primeur de l’exposition en France des toiles de Mondrian. Mais cette exposition fut aussi un moyen de révéler à Léonce sa passion pour l’architecture et la géométrie.
Le fonds Léonce Rosenberg de la bibliothèque Kandinsky comprend quantité de lettres très instructives sur les démarches du collectionneur. On y apprend qu’il recherche une maison qui soit moderne mais par moderniste. A Fernand Léger il écrit en 1928 qu’il vient de louer 75 rue de Longchamp un appartement de 360 m2 pour sa femme et ses trois filles. L’on apprend ensuite qu’il destine une pièce par artiste sélectionné. Chacun devra s’adapter leur création au mobilier existant datant du XIXe siècle. Difficile tâche dirait-on, mais Léonce a une image précise de la correspondance des formes. Pour moi dira-t’il, il n’y a ni ancien ni moderne. Il y a le vrai et le faux et comme seul, le vrai demeure…
PLURALITE DES STYLES
En effet, Léonce considère par exemple que sa collection de meubles Louis-Philippe sauront parfaitement mettre en valeur l’art cubiste. En réalité, ce mobilier reflète les valeurs d’une époque historique de transition entre un ancien régime et une bourgeoisie émergente.
Les artistes sélectionnés jouent le jeu et d’une manière particulière, puisqu’ils savent que leurs oeuvres ne sont pas destinés à la vente. Mais il admet que les toiles des artistes côtés comme Léger et de Chirico seront sans doute moins nombreuses que celles de Metzinger, Herbin ou Severini.
En 1928, les commandes sont passées à Léger, de Chirico, Severini, Valmier et Metzinger. Herbin est appelé à décorer le fumoir. Ernst et Savinio sont chargés du décor des chambres à coucher. Les lettres de Léonce révèlent qu’il « presse » un peu les artistes car il lui tarde d’emménager. Au final, tout est terminé pour une inauguration le 15 juin 1929.
Au regard de la thématique antique revisitée par Chirico, certains critiques y ont vu des visions du monde fasciste. D’autres n’ont pas parlé d’œuvres d’art mais de « décoration », en critiquant fortement le mélange des genres. En effet, les figurations antiques mêlées au cubisme tardif ou à la figuration extrême déplut fortement à certains observateurs. Pour autant, Picasso avait reconnu jadis qu’on pouvait faire coexister différents langages artistiques. Mais il faut reconnaître que le classicisme et le cubisme d’après-guerre avait beaucoup évolué. En effet, ils avaient embrassé au fil des mois des styles multiples que certains critiques avaient du mal à cerner.
L’ARTISTE ET LE MARCHAND
Léonce Rosenberg avait aiguisé son regard dans la galerie de son père. Mais il découvrit le cubisme en 1912 chez Henry Kahnweiler. A cette époque, le marchand détenait le monopole des œuvres de Braque et Picasso en ayant signé avec eux des contrats d’exclusivité. Lorsqu’on dépossède Kahweiler de ses toiles, Léonce Rosenberg les inventorie en vue de la vente. Et il saisit l’occasion pour reprendre à son compte cette exclusivité. Il se fait notamment introduire dans les salons de Gertrude Stein et découvre d’autres toiles de Picasso mais aussi les oeuvres de Matisse.
C’est ainsi que Léonce Rosenberg achète l’Arlequin de Picasso pressentant qu’il s’agissait là d’un double de l’artiste. En réponse, Picasso réalise un portrait en pied du marchand, à la mine de plomb. Il figure tel un mécène avec la figure de l’arlequin en toile de fond. Mais Picasso se méfie de Léonce Rosenberg et résiste à la tentation de signer avec lui un contrat d’exclusivité.
Cependant, en 1917, Picasso est appréhendé pour les décors de Parade initié par les ballets russes. Cocteau qui a coordonné l’affaire auprès de Serge Diaghilev réalise les décors et Eric Satie la musique. La collaboration de ces artistes provoque une vive émulation. Mais à la suite du scandale qui s’ensuit, Léonce piqué de jalousie, s’offusque que les artistes qu’il soutient soient engagés par Diaghilev. Aussi écrit-il une circulaire en septembre 1917 leur interdisant de participer aux Ballets russes. Cette autorité et ce ton directif qui reposent sur une très faible légitimité en dit long sur les rapports que Léonce entretenait avec les artistes.
Cocteau répond avec de belles phrases qui frisent l’impertinence. Quant à Picasso, il dessine le costume du « manager français » de Parade avec un costume complet, un chapeau, une moustache et une pose altière très proche de la silhouette de Léonce. Du reste les relations entre Picasso et Rosenberg s’assombrirent quelques temps après la représentation de Parade .
Léonce Rosenberg mécène et collectionneur
Véronique Proust